Houcine el Wad nous mène dans une odyssée olfactive qui nous rappelle toutes ces odeurs que charrie le quotidien des Tunisiens et que plus personne ne remarque car elles font désormais partie intégrante de chaque individu et de son environnement le plus intime.
‘’Je ne parle pas des odeurs nauséabondes dont je n’ai pas imaginé parler un jour. En se souvenant d’elles, je me sens dévasté par la colère, la haine, la honte. Mais quand j’évoque ma cité, il me vient d’abord à l’esprit des odeurs charmantes, envoûtantes...’’, affirme Houcine el Wad en prolégomènes pour nous tenir prêts à une revue enchanteresse de ce que nous imaginons, le temps d’un éclair, de toutes ces odeurs intimistes des petites villes tunisiennes d’antan.
Contradiction
Il ne s’en tient pas là et, très Tunisien, il nous confie ses regrets de l’attitude des ‘’autres’’ à l’égard de sa cité bénie : ‘’Tous les gens du voisinage jalousent ma cité et disent qu’il ne s’agit que d’un village alors qu’elle se singularise par des odeurs extraordinaires, à la limite de la bizarrerie et de la curiosité. Des odeurs qui s’infiltrent partout, dans l’espace et les cieux, qui se pavanent, s’imposent et s’emparent de tout. La nuit, des dizaines de parfums se répandent, émanant de dizaines de genres de fleurs locales, à tel point que les habitants de ma cité jurent que ces odeurs sont plus éloquentes et plus grandes que toutes les paroles prétendant les décrire.’’
Seulement, nous découvrons vite que l’auteur nous a menés en bateau et qu’une contradiction radicale sépare cette annonce de ce que renferment les dix-sept chapitres des deux tomes de l’ouvrage. Pas de parfums de fleurs mais les odeurs insistantes d’un quotidien qui fait partie de la vie intime de chaque Tunisien et qui ont ‘’du caractère’’, si l’on ose dire.
Revue
Le premier tome brasse quinze sujets. Imaginez les odeurs au fur et à mesure que nous citons ces balises de la vie de tous les jours : la mosquée rappelle à Houcine el Wad les odeurs des cabinets d’ablutions et des nattes, l’huile d’olive et ses odeurs trop fortes après être passée par la presse, les relents du souk hebdomadaire, ce que l’on imagine qui émane de la maison de tolérance de la cité, l’odeur spéciale des brins de halfa utilisés pour fabriquer des nattes, les odeurs de tout ce qui brûle habituellement sous les feux domestiques, les détritus de toutes sortes, ce qui émane des femmes, l’air-même de la cité, l’espace clos et chaud-humide du bain maure, le quartier des juifs, les odeurs singulières de tout ce qui touche à la sexualité, les quatre quartiers principaux de la cité (en dehors du quartier juif auquel il a accordé un chapitre particulier), la prison, la sabkha.
Le second tome est différent, même s’il s’inscrit dans la même logique car, ici, nous trouvons les deux chapitres les plus longs de l’ouvrage : la corruption et le café.
En fin d’ouvrage, on reste pantois. Certes, il est clair que ces dix-sept états olfactifs qu’il passe en revue ne sont pas pris dans le sens général alors que l’auteur insiste sur leur appartenance intime et très spécifique à sa cité. Mais on voit bien l’intention: décrire avec force détails les 17 piliers olfactifs de la Tunisie.