Le grand public a connu Majd Mastoura comme étant un acteur à succès avec le film"Nhebek Hedi" ou encore "Bidoun 2", le voici écrivain en traduisant en dialecte tunisien "La chose publique, ou l’invention de la politique" du politologue français Philippe Dujardin, non sans une once de créativité.
L'idée de traduire ce texte a germé dans le cadre des Plateaux France-Tunisiechapeautés par la metteur en scène Françoise Coupat et l'historienne tunisienne Kmar Bendana. La résonance transversale et intemporelle du texte était propice pour une traduction tunisienne.
Majd Mastoura est l'un des initiateurs du mouvement Street Poetry (Klem Cheraa) qui à l'aune de la révolution a permis aux jeunes d'envahir l'espace public pour réciter et jouer les textes qu’ils avaient écrit en dialecte tunisien. Alors c'est tout naturellement que l'acteur s'est chargé de traduire le texte en étant fidèle à son personnage et y mettant autant de simplicité que de profondeur
Le livre n'est pas en effet une accumulation de termes savants hermétiques pour le grand public, ni un étalage théorique des grands courants politiques. Le texte est simple sans être simpliste. On raconte l'histoire plus qu'on la théorise. L'histoire de l'évolution de la chose publique revêt dans ce livre le récit d'une fable.
Le choix du dialecte tunisien se prête à ce jeu en rendant le texte encore plus accessible mais l'exercice de la traduction n'était moins difficile, confie Majd Mastoura au HuffPost Tunisie.
HuffPost Tunisie: Comment vous voyez l'évolution de la chose publique en Tunisie?
Majd Mastoura: Pour moi, à chaque fois que le peuple tunisien s'est soulevé pour réclamer son droit de dire son mot dans la gestion de la vie commune, c'est une réappropriation de la chose publique. Dans l'histoire moderne de la Tunisie, il y a eu quelques tentatives dans ce sens, comme les émeutes du pain de 1984 par exemple. Mais la plus emblématique est la révolution du 17 décembre 2010 puis Kasbah 1 et Kasbah 2, quand les Tunisiens se sont révoltés contre la dictature pour exiger leurs droits.
Malheureusement depuis, il y a un désintérêt palpable des Tunisiens pour la politique.
Justement comment vous expliquez ce désintérêt?
Les objectifs de la révolution ne sont pas réalisés malgré les quelques acquis. Les gens ne croient plus en la capacité des politiques, notamment ceux qui sont au pouvoir, de changer les choses. Il y a aussi une marginalisation et un mépris du peuple par une certaine élite composée de médias, d'experts, de politiques qui voient en lui un bloc d'ignorants.
Ce mépris est dangereux et sonne le retour d'une autre forme de dictature, car tout le monde n'est pas censé avoir une culture socio-politique. Il faut laisser au peuple la possibilité de s'exprimer, d'apprendre, de se tromper, de débattre de la chose publique, c'est l'essence de la démocratie.
Qu'englobe la chose publique selon vous? Peut-on discuter et débattre de tout?
On doit pouvoir parler publiquement de tout ce qui relève de la vie commune et des droits et devoirs de chacun. Seule la vie privée des gens doit être préservée. On doit aborder tout sans tabous et pouvoir en discuter sainement comme par exemple de la sexualité.
Malheureusement le débat est aujourd'hui pollué, car les médias ne se soucient que du buzz. Prenons l'homosexualité, c'est bien de pouvoir en parler mais le "comment" est désastreux. Certains médias courent derrière le sensationnel, ainsi on en discute en essayent de réunir tous les ingrédients d'un buzz: un militant de l'association Shams, un imam, un chanteur de mezoued converti en prédicateur religieux, une femme aux apparences modernes en porte-parole du conservatisme et le tour est joué pour attirer l'audience, mais en faussant le débat et en renforçant les préjugés de certains téléspectateurs.
Un prochain livre est-il envisageable?
Le grand public m'a connu comme acteur mais les gens qui me connaissaient avant savent que je suis quelqu'un de passionné de l'écriture. Être acteur était pour moi un pur et heureux hasard. Ce livre est pour moi un retour aux sources, à ce que j'ai entamé avec le mouvement Street Poetry. Je continue depuis d'écrire en dialecte ou en arabe littéraire alors un prochain livre est envisageable. Je l'espère.